Le colorisme, un dérivé du racisme

Publié le : , par  Assia Nazeer

Le colorisme peut se définir comme étant une forme de discrimination suivant la carnation de la peau, qui se met en place au sein même des communautés de couleurs (mais aussi présente dans la société). Elle tient son origine du racisme, et en partage les effets.

Les séquelles de la colonisation

Le colorisme débute lors de la colonisation des pays dits "du Sud". Lorsque les colons se sont emparés des pays de personnes de couleurs, ils ont imposé l’idée qu’être blanc de peau renvoie forcément à être plus riche et plus intelligent, plus propre que les personnes de couleurs. Aussi, dans plusieurs pays, le fait d’effectuer les travaux les plus compliqués physiquement impliquait généralement le fait de travailler en extérieur et donc d’être plus foncé. L’esclavagisme a aussi beaucoup joué dans la diffusion du colorisme car les esclaves "plus clairs" de peau avaient des tâches "moins pénibles" (aux États-Unis, le phénomène a été particulièrement mis en valeur par l’esclavage et la ségrégation de 1877 à 1964).

Ce type de distinction, de discrimination peut être retracée jusqu’à aujourd’hui tellement les cas sont nombreux.
Cette différenciation a fini par créer une sorte de discrimination à l’intérieur même de ces pays, entre des personnes de la même communauté.

La supériorité de la peau blanche

Dans les pays, majoritairement d’Asie, d’Afrique et des Caraïbes (parfois aussi d’Amérique Latine), on retrouve une différence de traitement entre les personnes plus foncées. Généralement, dans ces pays, le critère de beauté est d’être blanc. Les personnes plus foncées sont moins écoutées et moins prises au sérieux. Pour parvenir à cela, énormément de personnes passent par des pratiques dangereuses permettant de "blanchir" la peau. Dans la plupart du temps, et des pays, le colorisme a plus d’impact sur la vie des femmes que des hommes.

Ces pays font énormément la promotion de la peau claire. Dans les pubs, les films, séries, les musiques, les magazines... les plus grands rôles sont joués par des personnes très claires. Les personnes plus foncées sont mêmes très souvent sous représentées. Les produits sont souvent conformes pour des carnations plus claires pour inciter les gens à blanchir leur peau.

L’actrice Zendaya Coleman (caractérisée de "light skin" dans la communauté noire) a annoncée en 2018, au Beautycon Festival à New York City, qu’elle était le type de femme noire acceptable à Hollywood et que c’était une chose qui devait changer.

Le blanchiment de peau

Cette supériorité esthétique attribuée à la peau claire ou blanche a poussé à un usage de plus en plus fréquent de produits qui permettent de blanchir la peau. La réalité de ces produits blanchissants, est qu’ils sont connus pour détruire le pigment de la peau et donc amener à une fragilité de la peau pouvant conduire, la majorité du temps, à des cancers de la peau, des brûlures, l’apparition d’hyperpilosité, de l’hypertension artérielle, du diabète, de l’insuffisance rénale ou pour les "plus chanceux", la simple apparition de boutons.

Ces produits contiennent des substances très dangereuses pour la santé et interdites par la loi, telles que l’hydroquinone ou le mercure et ces personnes vont même jusqu’à utiliser des médicaments dont un des effets secondaires est le blanchiment de la peau.
L’industrie des produits de blanchiment de peau est estimée à 13 milliards de dollars en 2020 selon Future Market Insights. D’après l’OMS, ces produits représentent 50% de l’industrie cosmétique en Inde.

Dans un article paru sur "Madame le figaro" le 14 février 2022 « "Whitening" : en Asie, la quête de la peau claire à tout prix » on peut lire une interview avec le Docteur Sudip Das, chef du département de dermatologie du Calcutta National Medical College, dans laquelle il explique qu’il reçoit tous les jours, un grand nombre de patientes qui souffrent d’une dépendance à ces crèmes et dont la majorité n’ont pas conscience des risques de ces produits éclaircissants. "Elles estiment que le résultat en vaut la peine puisque les gens les complimentent sur leur couleur de peau et que leur insertion dans la société et dans le travail est plus simple".

Dans les pays d’Asie de l’Est, l’une des plus grande démonstration du colorisme passe par l’utilisation de produit de blanchiment de peau mais aussi par la "surprotection" solaire avec les ombrelles, les habits protégeant des UV (cagoule, gants, habits longs (même à la plage)...) et beaucoup de crème solaire.

En France, beaucoup de ces produits de blanchiment de peau ont été interdits à la vente. Depuis 2011, la France interdit la vente des produits à base d’hydroquinone (substance toxique présente dans les produits de blanchiment de peau) mais certains produits éclaircissants restent toujours accessibles au grand public.

Les mœurs bouleversées

Un des problèmes avec le colorisme est que l’idée est tellement ancrée dans les mentalités que certaines personnes reproduisent ces pratiques ou ces discriminations sans mêmes s’en rendre compte et sans vouloir faire de mal, que ce soit sur elles-mêmes ou envers les autres.

Le problème est aussi présent à l’intérieur même des familles. On peut voir une différence de traitement de la part de quelques parents envers leurs enfants plus foncés et plus clairs, on peut aussi voir des familles éloignées critiquer une personne de la famille, plus foncée, ou au contraire faire l’éloge d’une personne claire de la famille, ce qui crée des complexes, et ce qui fait perpétuer ces discriminations et ces pratiques dangereuses de blanchiment de peau.

En Asie du Sud, avoir la peau claire pour les femmes signifie avoir plus de chances de se marier, de trouver du travail, d’être mieux perçues au sein de la société...
En Asie de l’Est, les chirurgies esthétiques permettant d’avoir des traits plus occidentaux sont des procédures très communes et banalisées, on retrouve par exemple le débridage des paupières ou la rhinoplastie permettant d’avoir un nez plus long et plus pointu.
Dans certains de ces pays, quelques familles ne veulent pas que leurs enfants se marient avec une personne plus foncée de même ethnie par peur d’avoir des petits enfants foncés.

Fais pas genre, « un web magazine de cinéma de tous les genre » cite le livre "The Search for the beautiful woman : Historical and Contemporary Perspectives and Aesthetics" paru en 2012, du professeur Cho Kyo de l’Université Meiji à Tokyo dans un article publié le 9 décembre 2020 « Les standards de beauté dans les pays du Sud, entre poids du passé colonial et mondialisation » dans lequel il énonce qu’« Une population dont la civilisation est perçu comme hautement développés apparaît plus facilement comme attractive, tandis qu’un groupe ethnique réputé "arriéré" est considéré comme moche ». Son commentaire renforce l’idée que, les pays du "Nord" étant plus développés, sont plus attractifs que les pays du "Sud" et donc que les traits occidentaux sont la norme.

En revanche, au cours des dernières années, avec le changement des critères de beauté dans les pays occidentaux, l’hypersexualisation des femmes de couleurs s’est accentuée, les réduisant, majoritairement, à des simples objets.

Le white passing

Une autre sorte de discrimination découle de ce colorisme. Le "white passing" (qui concerne les personnes de couleurs avec des traits plus "occidentaux", c’est-à-dire des lèvres fines, une peau plus claire, de grands yeux – dans certains cas des yeux clairs aussi – un nez fin, des cheveux lisses, des cheveux clairs...) permet à des personnes de couleurs d’avoir des privilèges que des personnes de la même ethnie n’ont pas ce qui affirme encore plus ce colorisme. Des études confirment que pour un grand nombre de personnes de couleurs, ne pas être foncé apporte plus de privilèges, que ce soit au niveau du travail, le fait de trouver un logement, l’éducation, la facilité de voyager, la vie de tous les jours, etc. Les personnes "white passing" ont généralement aussi beaucoup plus de facilité de s’intégrer dans des groupes autres que leur communauté.

Le "white passing" peut aussi être perçu comme quelque chose de péjoratif pour la communauté de la personne concernée car ayant plus de privilèges et qualifiée de "trop blanche", la personne sera mise à l’écart de sa propre communauté. Dire que quelqu’un est "white passing" peut aussi "effacer" son appartenance à son ethnicité ce qui peut être négatif pour la personne elle-même et pour sa communauté.

Les autres conséquences du colonialisme

En Afrique, le colorisme ressort aussi beaucoup par la texture des cheveux. Les cheveux typés africains (bouclés, frisés, crépus...) sont beaucoup plus critiqués que les cheveux lisses. Au travail, les cheveux crépus/bouclés sont souvent considérés comme négligés comparé aux cheveux lisses.
Au Maghreb, la grande majorité des femmes se lissent les cheveux depuis l’enfance. Les gens de la famille, les amis, les proches en général, sont très négatifs face aux cheveux naturels et font fréquemment des remarques désobligeantes, négatives, sarcastiques, ce qui, encore une fois, alimentent les complexes et le maintien de ce colorisme.
Cela n’empêche pas que ces dernières années, les femmes du Maghreb essaient d’accepter de plus en plus leurs cheveux naturels.

Un stéréotype qui existe et persiste à cause de ce colorisme/racisme est l’ « angry black woman » dans lequel les femmes noires foncées sont jugées plus agressives, moins "féminines" que les autres femmes. En générale, les femmes de couleurs sont considérées moins "féminines" que les femmes blanches.

Les évolutions

Ces dernières années, le problème s’est un peu amélioré avec, par exemple, la diversification dans le choix des personnes pour les publicités, les rôles des films ou séries ou même la diversité des personnages dans les dessins animés et les jeux vidéo, mais reste toujours présent dans le monde entier et même dans les pays les plus riches.

Avec le développement des réseaux sociaux de ces dernières années, les mouvements contre le colorisme sont de plus en plus mis au jour permettant à plus de gens de prendre conscience de la gravité de ce "phénomène". Des associations ont créé des mouvements afin de lutter contre cette discrimination et venir en aide aux victimes, il y a notamment "Dark is beautiful", une campagne de service public lancée par des activistes indienne de l’ONG Women of Worth ou encore "Nappy" (natural and happy), un mouvement né aux États-Unis dans les années 2000 qui désigne les femmes noires souhaitant conserver leurs cheveux crépus.

Témoignage d’une militante

Awa-Eve Sissoko, militante anti-dépigmentation de l’association Esprit d’Ebène a accordé une interview à Causette, un magazine féminin, d’information politique et générale, dans un article du 21 janvier 2021 « Awa-Eve Sissoko : "Lutter contre la dépigmentation des peaux noires, c’est lutter contre le racisme et le colorisme" » dans laquelle elle déclare : "Les ouvriers noirs qui travaillaient sans protection dans les usines textiles, fabriquant les jeans, se sont rendus compte que les produits utilisés pour délaver la toile blanchissaient leurs mains. Ils ont sorti ces produits hautement toxiques des usines et les ont détournés de leur utilisation première pour blanchir leur peau afin d’être mieux tolérés dans la société américaine ségrégationniste". Elle ajoute que "Lorsque le produit fonctionne (qu’il s’agisse d’une crème, d’injections ou de produits à ingérer), cela peut vous abîmer durablement la santé. Les gens ont tendance à oublier que leur peau est un organe, qui est fortement agressé par cet effort continu pour le blanchir. Il faut savoir que ces produits contiennent parfois du mercure ! L’épiderme s’affaiblit, la peau est littéralement brûlée, vieillit prématurément, elle ne peut plus jouer son rôle protecteur. Cela peut entraîner des cancers. [...] à Bamako au Mali, une jeune femme est décédée des suites de sa dépigmentation forcenée. Elle était enceinte et a dû accoucher par césarienne. La peau n’a jamais pu cicatriser, car elle était trop affaiblie, et elle est morte d’une hémorragie".

Depuis plusieurs années, Esprit d’Ebène maintient sa campagne #StopDépigmentation. Une campagne contre la dépigmentation de peau.

Pour aller plus loin :

Femmes Prévoyantes Socialistes, association féministe progressiste, laïque et mutualiste souhaitant une société égalitaire en tous points.
Conseil Représentatif des Associations Noires, association souhaitant promouvoir l’égalité des populations noires de France et évaluer les discriminations dont elles sont victimes.
Sciences Curls, association contre les discriminations raciales liés aux cheveux naturels.

Sources :

Wikipedia Le Monde Radio-Canada Slate
La Liberté Bondy-blog Presse Gauche The Body Optimist
Madmoizelle Women who do stuff Eurisles The Conversation

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